LE NOËL DEUX MILLE VINGT-TROIS
Tu te tiens appuyée au mur gris de la salle, Marie
Au cœur de ce tourbillon de gens et de bruits
Le centre communautaire se prépare à partager
Dehors, on décharge des camions de denrées
Les vapeurs de fumée s’élèvent de la cuisine
Couvrant à la fois bavardages d’adultes et cris d’enfants
Joies, angoisses ou drames sans cesse se voisinent
Mêlant la pauvreté au brouillard de buée se répandant
La neige depuis une heure a remplacé verglas et pluie
Tu te tiens appuyée au mur gris de la salle, Marie
Les badauds sur la rue, se hâtent de regagner leurs maisons
Certains sauraient ce que tu caches sous ton voile long.
Une famille déjà s’est assise à la table
Un jeune enfant inconnu a suivi furtivement
Sur sa joue et son œil, une teinte bleue inacceptable
L’envers d’une tendresse irraisonnée dans un geste de parent
Un sapin vert bien décoré atteint presque le plafond
Il se dresse pour étonner, réjouir, apprivoiser
Une jeune femme de la nuit, tout près s’est arrêtée
Les Noëls de son enfance en son cœur ont fait un bond…
Le léger entassement de neige adoucit les environs
Une faible lueur éclaire la porte de chauds coloris
Tu te tiens appuyée au mur gris de la salle, Marie
Ton regard englobe chaque être : tu connais leurs prénoms
L’intervenant s’affaire et converse avec un groupe
Il veut leur recommander de ne pas vivre dans la rue
Il connaît proxénètes et vendeurs de drogue déchus
Et rêve de mille bonheurs pour sa petite troupe
Avec son filleul, une bénévole revient du cinéma
L’homme, déficient intellectuel, aime longer les trottoirs
Quand l’approche de Noël change paysage et climat
Et que les ombres dessinent sa silhouette du soir.
Les yeux mi-clos, une vieille dame se berce doucement
Le fil de sa vie aussi ténu que celui de l’ornement
Qu’elle tendra vers l’arbre, à peine sortie de sa rêverie,
Tu te tiens appuyée au mur gris de la salle, Marie
Ton regard rejoint l’adolescente aux idées suicidaires
Il lui parle d’espérance à grandeur de notre terre
Mais la fille baisse les yeux, à genoux par sa misère :
Tu décides à cet instant du geste que tu vas faire
Tout terminera soudain comme un conte de Noël
Ils sont tous autour de toi, réunis à ton appel
La maman chef de famille et le garçon immigrant
Et le parent qui s’inquiète et le fils récalcitrant
Que tu sois la directrice de cet ensemble bigarré
Te pousse à les rassembler sous la solidarité
Les unir comme un peuple pour partager en commun
En cette fête d’amour où Dieu nous dit : « Soyez un! »
Tu tiens le petit bébé qui attend une adoption
Sans sourire, tu le déposes sous l’amas du voile long
Sachant que la nuit anniversaire se fait proche
Sous le grand sapin, au centre, doucement tu l’approches
Et soudain, ils sont tous là et c’est la nuit de Noël
Ils sont foule, ils sont peuple et ils sont universels
En cette nuit de lumière, deux mille ans après le jour
Ils savent qu’une prière ne se dit qu’avec amour
Ils ressemblent à cet enfant et ils ressemblent à sa mère
Ils peuvent passer ton message par leurs existences
Parce qu’ils ont sur leurs mains, au quotidien, leurs souffrances
Ils seront le contre poids de toute pensée de guerre
Tu te tiens appuyée au mur gris de la salle, Marie
Au cœur de ce tourbillon de gens et de bruits
Le centre communautaire se prépare à partager Dehors, on ne se doute pas que quelque chose a changé…