FATIH
Devant les décombres répandus, une porte tient difficilement debout.
La voyant, chacun sait qu’elle tombera probablement avant la fin du jour.
Fatih la traverse péniblement, espérant qu’il basculera dans un autre univers,
Un autre monde que celui brisé, effondré, démantelé où il doit abandonner…
Le soleil cachera bientôt ses derniers vrais rayons. Un cri a fendu l’air,
Fatih a senti son cœur se projeter hors de sa poitrine. L’averse a laissé sur le sol
De lourdes flaques bleutées qui coulent en larmes multiples, étonnées des sillons
Se créant, impromptus, vers un autre monde que celui où il doit abandonner…
Des silhouettes s’affairent. Fatih ne peut savoir à quoi, ils sont hors de portée.
M’entends-tu Fatih, je te demande pardon de crier à tous vents depuis longtemps
Sans avoir su te protéger, ni ta sœur, ni ta sœur… Un rendez-vous chez la coiffeuse
A détourné mon attention. Ma fille a un microbe et je travaillerai demain.
Les mauvaises herbes s’amassent en tas sur mon terrain, empilées par les rafales.
Sur le journal sali, ton image m’obsède, l’empreinte de mon pied froisse le papier
Je suis en retard, le cocktail débutera avant mon arrivée. Fatih, Fatih, j’aurais voulu
Terminer mon chèque pour qu’il parte. Je relève mon col à l’instant même où…
Fatih cherche de la main un vêtement pour protéger son cou. Son index se plie
Pour attraper une encolure qu’il n’a pas. Et moi, je demeure pétrifiée.
À observer le sol. Sur l’asphalte, le papier journal plissé mêlé de pluie
Laisse soudain passer le visage de l’enfant et dans un clair-obscur, je le vois
Fatih, Fatih. Il est hors-temps. Celui du nous parfait. Nos yeux se rejoignent
Nos réalités s’immobilisent, indépendantes. La partie de moi qui pense à toi
S’émeut. Je sens mes larmes, mon corps tremble. J’ai le souffle court.
Je ne retiendrai de toi que ton regard, ton beau regard complètement aphone.
Je dois repasser ma robe. Je dois repasser ma robe. Le refrain monte sans préavis
Je me redresse, reviens à moi. Le demi-jour se tourne presque vers la nuit
Mes jambes reprennent leur marche vive et je me laisse porter indifférente.
Comme sonnée, comme suffoquée, je me laisse porter indifférente.
En un bruit sourd, la porte tombe. La nuit se prépare à jaillir sans étoile
Au cri que j’ai retenu, Fatih a senti son cœur se projeter hors de sa poitrine.
Le cocktail est commencé, j’ai refait mon maquillage et oublié mon chéquier.
Je repenserai à Fatih. Ou à un autre exactement comme lui. Il le faut bien.