Lettre à Shireen Abu Akleh
Chère Shireen,
Lorsque j’ai ouvert mon Instagram ce matin, presque tout de suite j’ai vu ton visage. Il était clair que tu te préparais à faire un reportage. Mes yeux se sont arrêtés sur ta photo, ton air calme, peut-être que ta journée commençait. Je me suis dit comme souvent lorsque je vois un.e journaliste couvrant la guerre, que tu avais un courage démesuré, un espoir démesuré de changer les choses, que tu portais la paix, la volonté de faire un travail éprouvant, dangereux et noble.
Ma tête a repris ses rengaines : la Palestine, Gaza, les enfants, la violence, l’injustice, la peur, l’horreur, la quête d’équité, l’ensemencement d’amour si nécessaire, le courant d’amour à faire surgir pour contrer la mort.
Partout sur toute la planète.
Sur mon écran de cellulaire, suivant la petite flèche, mon doigt a fait le geste machinal de changer de photo. Pétrifiée, j’ai vu le journaliste courir vers ton corps prostré. Mon cœur en moi criait : oh non, elle n’est pas morte, oh non!
Les journées ne peuvent débuter en faisant obstacle à la vie, en éteignant le soleil, en mettant en échec l’énergie que tu partageais. Tu étais pionnière, l’une des premières femmes arabes à être correspondante de guerre, tu avais une détermination à changer le monde.
Je pense à ta famille, tes enfants, tes amis, tes collègues et je pleure avec eux.
L’irrémédiable se produit, l’irréversible s’étend dans les âmes, lourd d’affliction devant une réalité qui portera ton absence comme le poids du monde; le poids de toute les morts violentes et injustes.
Shireen, merci de cette vie magnifique que tu as eue en répandant ton écriture journalistique.
- “J’écoutais Shireen du fond de ma prison, a dit quelqu’un en entendant la triste nouvelle. Elle était un maître en journalisme et le demeurera même dans sa mort.”
- “Nous continuerons à témoigner”, ont assuré ses collègues.
Cela la gardera certainement vivante et lui fera porter toujours les ramifications de sa recherche de vérité et de justice.